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« L'autonomie alimentaire passe par des producteurs justement rémunérés »

Derrière les discours politiques et l'affichage des distributeurs en soutien à l'indispensable agriculture française, Patrick Bénézit (FNSEA) dénonce une baisse des prix payés aux producteurs.

Patrick Bénézit lors du dernier Sommet de l'Élevage.
Patrick Bénézit lors du dernier Sommet de l'Élevage.
© Actuagri

La France sort tout juste de deux mois de confinement, quel premier bilan tirez-vous de l'impact de cette crise sur l'économie et les productions agricoles ?
Les décisions sanitaires ont fait que la distribution des produits a été transférée quasi exclusivement aux GMS (grandes et moyennes surfaces, NDLR). Malgré le protocole élaboré par la FNSEA et la fédération des Marchés de France, d'importants marchés de plein air ne font que rouvrir cette semaine. La grande distribution a donc pris une grosse part de l'activité des marchés et de la restauration. On s'est retrouvé avec une situation où elle a eu toutes les manettes, sur un marché dénué de concurrence.

La grande distribution justement n'a cessé ces dernières semaines de communiquer sur son soutien aux filières tricolores, aux producteurs... Engagements tenus ?
Il y a eu des choses de faites à la demande de la FNSEA, notamment sur les fruits et légumes et certaines autres filières. C'était le minimum puisque les autres réseaux de distribution étaient de fait fermés. Globalement, les engagements des GMS pour privilégier les approvisionnements locaux ont été tenus.
Pour autant, s'agissant des filières qui nous concernent dans le Cantal, on a assisté à des baisses de cotations sur la viande bovine et à des prix des agneaux à Pâques qui n'ont pas collé. Sur le lait, il y a eu aussi une baisse des prix pour les producteurs qui livrent à des entreprises très orientées sur les fabrications fromagères mais également pour les autres. Or, même s'il s'est mangé moins de fromages, les laits transformés et vendus en yaourts ou d'autres produits laitiers n'ont pas été dévalorisés alors que les producteurs ont eux été moins bien rémunérés. Conclusion : dans les filières animales, où tout s'est mangé - hormis les fromages - le consommateur a payé le même prix mais les paysans ont eu moins !

« Il y a eu beaucoup d'enfumage... »
Il y a eu un défaut d'appréciation majeur des pouvoirs publics : les mesures n'ont pas été mises en place pour protéger le prix aux producteurs. Il y a eu beaucoup d'enfumage sur le fait que les gens ne mangeaient plus de viande. On en a entendues des vertes et des pas mûres !
Et Bruxelles n'a pas pris les mesures nécessaires : on est resté sur des mécaniques où le droit la concurrence prime alors que le marché est faussé. Il faut exclure l'agriculture du droit de la concurrence et réaffirmer la nécessité d'un revenu suffisant pour les producteurs.

En filigrane de votre analyse, on lit que la déperdition de valeur a profité à l'aval...
Il n'y a pas 36 solutions. Autant en horticulture, il y a eu des problèmes réels de débouchés, dans les filières vin, canard, sur le chevreau aussi ; autant les autres productions sont parties, rien n'a été jeté à la poubelle. L'argent est bien passé quelque part. L'aval en a donc profité.

En dépit des EGA (États généraux de l'alimentation), de la crise sanitaire, des grands discours sur l'autonomie alimentaire... rien n'a donc changé ?
Il y a nécessité de réaffirmer très très vite et fort la ligne des EGA, qui patinaient déjà avant la crise,  c'est à dire la prise en compte des coûts de production et la rémunération des producteurs, mais aussi d'apporter des réponses aux filières qui ont eu de gros problèmes de débouchés. La réponse doit être une réponse publique, ce qui a été très peu le cas aujourd'hui. Le vin commence à avoir des mesures de distillation ; pour les fromages on a besoin de mécaniques publiques type fonte ou autres.

En n'agissant pas plus fort et plus vite, avez-vous le sentiment que le Gouvernement a fait le choix du consommateur plutôt que du producteur ?
On espère que non. Il y a deux chiffres à retenir : le fait que le consommateur consacre moins de 14 % de son pouvoir d'achat à se nourrir, et que sur 100 EUR de valeur achetée par le consommateur, seulement 6 EUR reviennent en net au producteur. Affirmer que l'agriculture devrait participer aujourd'hui au pouvoir d'achat des Français, argument déjà agité par certains, est strictement déplacé. Le prix aux producteurs représente trois fois rien dans le budget d'achats des ménages.

Pensez-vous réellement qu'on saura tirer les leçons de cette crise ? Croyez-vous au « monde d'après » ?
S'il y a des leçons à retenir de cette crise sanitaire, c'est notamment qu'on a besoin d'autonomie alimentaire, donc d'agriculteurs payés au juste prix pour ne pas dépendre d'autres pays ou continents. Là où l'on a perdu notre indépendance alimentaire, c'est dans les produits qui ne rémunèrent plus bien les paysans : la production ovine...

« On a besoin d'actes et de cohérence politiques »
Le monde d'après, on peut pour l'heure douter de sa réalité quand on voit la Commission européenne continuer à signer des accords internationaux comme si de rien n'était. Même si l'accord entre l'UE et le Mexique doit être ratifié par le Parlement, le Conseil européen, les États membres, on reste quand même inquiets. On nous dit que l'accord avec le Mercosur ne sera pas signé mais on sait que la Commission continue de négocier. On est encore sur la vieille mécanique d'accords bilatéraux bidons avec l'agriculture comme contrepartie.
On n'a jamais été contre les échanges internationaux du moment où l'on achète des produits dont on a besoin et qui respectent nos normes. Or le Mexique est une provenance dont les importations ont été bloquées à plusieurs reprises  pour raisons sanitaires. On est dans l'incohérence politique totale !
Au-delà, ce que la FNSEA a demandé à Bruxelles, c'est de suspendre durant cette crise les importations de boeuf d'Amérique du Sud et d'agneaux de Nouvelle-Zélande. Il y a des clauses qui le permettent. Car indépendamment d'un éventuel accord avec le Mercosur, des accords - passés il y a plusieurs décennies déjà - permettent d'importer de 200 000 à 300 000 tonnes de boeuf, idem pour les agneaux néozélandais.
Ce qu'on demande, c'est l'application de l'article 44 des EGA qui interdit d'importer des denrées dont les moyens et méthodes de production sont prohibés chez nous. La France ne l'a pas appliqué, pourtant les parlementaires l'ont voté...
Il faut aussi qu'on ait plus de cohérence des pouvoirs publics qui affichent l'ambition de la souveraineté alimentaire et, en même temps, nous empêchent par exemple de conserver des moyens de lutte contre les campagnols et d'en autoriser de nouveaux.
Derrière cet épisode, plus que jamais on attend des actes politiques !

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