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« Il faut mieux faire reconnaître la place des agricultrices »

Depuis 2008, chaque 15 octobre célèbre la « journée internationale de la femme rurale ». Au cœur de la ruralité, les femmes, en particulier les agricultrices jouent un rôle prépondérant.

© Stéphane LEITENBERGER

Qu’est-ce que la ruralité en 2020 et comment les agricultrices jeunes ou moins jeunes, la vivent-elles aujourd’hui ? « Il existe une multitude de femmes rurales à travers le monde. Cette grande diversité se retrouve aussi en France à travers nos nombreux territoires et nos exploitations qui sont en zone de plaine, sur le littoral, en zones intermédiaires, en montagne », explique Hélène Blaud, secrétaire générale de la Commission des anciens exploitants. « Nous vivons toutes notre ruralité différemment, selon que l’on se trouve près d’une frontière comme moi ou bien dans le rural profond », acquiesce Catherine Faivre-Pierret, membre du bureau de la FNSEA.

« Femme de »
Mais pour toutes les agricultrices qui représentent l’image même de la femme rurale, il a fallu se montrer « à la hauteur », et « se battre pour prendre notre place », ajoute-t-elle.  Catherine Faivre-Pierret, se souvient du temps où l’agricultrice n’était que « la femme de ». Pour mieux souligner l’effacement des conjointes d’exploitant et le manque de considération dont elles étaient les victimes, Hélène Blaud se remémore deux anecdotes. La première concerne un technicien agricole qui arrive sur la ferme. Il voit l’agricultrice et l’interroge : « Y a personne ? ». La seconde concerne le passage de son permis de conduire en 1971. En regardant la profession qu’elle avait marquée sur le document, l’inspecteur s’étonne ouvertement : « Agricultrice ? Mais ça n’existe pas ! ». Fort heureusement, les mentalités ont changé mais des résistances existent toujours. « Dans le couple agricole, la répartition des tâches reste encore très sexuée, très genrée, explique l’agricultrice et sociologue Claire Desmares-Poirrier. Par exemple, dans un élevage laitier, la femme s’occupera des veaux, parfois de la traite, et aussi de la comptabilité. L’homme sera lui plus présent dans les cultures ».

« On s’est fait flinguer »
Un autre verrou est plus compliqué à faire sauter selon elle : celui de la mécanisation. « Dans les BPREA*, il n’existe pas de formation sur tracteur pour attacher, régler et manœuvrer. Mon mari s’est blessé et j’ai eu beaucoup de mal à le suppléer dans ses tâches », ajoute-t-elle, militant pour la mise en place de formations en non-mixité, notamment sur la conduite du tracteur et « pour que la mécanisation soit un outil d’égalité homme/femme ». Si les agricultrices ont pu trouver une place reconnue dans le milieu agricole et rural, c’est aussi parce qu’elles se sont engagées et qu’il a fallu bousculer quelques schémas « masculins », sous-entendu, avec quelques relents machistes, se rappelle Hélène Blaud. « Il a fallu que des hommes laissent un peu de place et je peux vous assurer qu’au début on s’est fait mal voir. On s’est fait flinguer. Mais je sais aussi que si j’ai eu des responsabilités, comme vice-présidente de mon canton et vice-présidente de Chambre, c’est parce que je ne faisais d’ombre à presque personne », précise-t-elle.

« On vous attend ! »
Cheffe d’élevage et membre du Conseil d’administration de JA, en cours d’installation, Manon Pisani a aussi fait le choix de l’engagement pour son métier et la défense de la ruralité. « Je suis fille d’agricultrice, car dans ma famille, contrairement au schéma traditionnel, c’est mon père qui travaille à l’extérieur, explique-t-elle. Mon envie et mon combat, c’est de faire du monde rural une terre d’opportunité et de rendre ce milieu à la fois vivable, agréable et rentable. Avec mes moyens, je veux contribuer à le rendre attrayant pour cette génération et celles à venir », témoigne-t-elle.
C’est également cet esprit de « rural pride » (fierté rurale) que Claire Desmares-Poirrier a poussé en mai dernier dans les colonnes du quotidien Libération à l’attention des néoruraux : « Il y a une vie d’après possible pour chacun(e) de vous loin du tumulte et du béton. Vous qui rêvez de la campagne, plus seulement pour un week-end, mais pour un véritable projet de vie. On vous attend ! » Faut-il favoriser l’exode urbain pour contrecarrer l’exode rural ? Claire Desmares-Poirrier l’appelle presque de ses vœux quand elle écrit : « L’exode urbain 2020 sera à l’image de la génération qui fera ce choix : connectée, ouverte, en quête de sens et de lien. Le stéréotype de la société rurale, fermée et conservatrice, est dépassé. La campagne est un espace où règne avant tout la solidarité. Il y a de la place dans les maisons vides, mais aussi et surtout dans le cœur de celles et ceux qui font nos territoires. Si vous saviez combien nous avons besoin de vous ! »

Les investisseurs et les consommateurs
Il n’en reste pas moins que les relations avec ces néoruraux se révèlent compliquées : « Mon exploitation est à cinq minutes du centre-ville de Montauban et je peux vous assurer que les néoruraux méconnaissent beaucoup le monde agricole » sur lequel ils ont des a priori, assure Manon Pisani. « Ils ne comprennent pas nos difficultés, ils sont même ignorants et parfois buttés », ajoute-t-elle. Elle cite l’exemple d’un projet de méthanisation qui fait émerger de nombreuses craintes : « Ils craignent ce projet parce qu’il serait dangereux pour un tas de raison. Ils n’y voient pas ou ne veulent pas y voir un système vertueux qui permet de répondre à leurs attentes écologiques, d’assurer des revenus supplémentaires aux agriculteurs et de préserver les paysages ». Cette vision idéalisée de la ruralité est un réel problème qui creuse parfois le fossé entre d’un côté les néoruraux et de l’autre les agriculteurs et les ruraux natifs de la campagne. « Parmi les néoruraux, vous avez deux camps : Vous avez d’un côté celui des investisseurs qui nous amènent une dynamique, qui s’investissent dans la vie du village, les mouvements associatifs, dans les municipalités… De l’autre côté, vous avez celui des consommateurs qui sont là pour profiter du paysage, des quelques commerces sur place et qui veulent qu’on leur fiche surtout la paix », résume Catherine Faivre-Pierret. Manon Pisani rêve aussi d’une ruralité idéale où « chacun pourrait trouver un vétérinaire disponible, des services publics ouverts, des médecins généralistes et spécialisés à moins d’une heure de voiture, une offre culturelle diversifiée un réseau Internet très haut-débit et même fibré, etc. ». Hélène Blaud plaide d’ailleurs pour que les néoruraux s’impliquent davantage pour améliorer les conditions de vie générale. « La femme néorurale peut être un pont entre nos deux cultures », affirme-t-elle.

Ruralité positive et fière
C’est aussi l’analyse de Claire Desmares-Poirrier pour qui certaines micro-régions de France « n’ont pas de perspectives » en raison du vieillissement de leur population, de leur enclavement routier, ferroviaire et numérique. La jeune sociologue considère également que « les villes aussi sont dans l’impasse ; la ruralité est la solution ». « Ne te demande pas ce que la ruralité peut faire pour toi mais ce que tu peux faire pour la ruralité ». C’est dans cet état d’esprit, et en paraphrasant le président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy (1917-1963) que la sociologue entend apporter sa pierre à la « construction d’une ruralité à la fois positive et fière ». La force des agricultrices dans le monde rural c’est qu’elles jouent les intermédiaires, les médiatrices « Notre polyvalence, notre dynamisme et notre sérénité sont de réels atouts. C’est pourquoi il faut mieux faire reconnaître la place des agricultrices », conclut Hélène Blaud.

*Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole.

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